gilles BoestschLe projet de Grande Muraille verte au Sahel progresse pied à pied. Le point avec Gilles Boetsch, anthropobiologiste, directeur de recherche au CNRS et de l'Observatoire Hommes-Milieux international (OHMi) à Téssékéré au Sénégal.

Où en est le projet de Grande Muraille verte, lancé en 2007 par les chefs d’Etat africains pour lutter contre la désertification au Sahel ?

Le problème de ce grand projet, c’est que mis à part le Sénégal, et dans une moindre mesure la Mauritanie et le Tchad, tous les autres pays concernés sont en crise ! Du point de vue du Sahel, le projet avance donc très doucement et nous sommes encore loin des 7000 km de verdure, censés relier à terme le Sénégal et Djibouti. En revanche, l’initiative avance bien au Sénégal.

Ce pays préfigure ce que pourrait être la grande muraille verte : un endroit régénéré, qui modifie l’écosystème et le mode de vie des habitants en leur apportant des ressources nouvelles pour lutter contre la pauvreté.

Comment érige-t-on un rideau végétal de 7000 km sur 15km sur des terres arides ?

L’idée n’est pas de faire une seconde Grande Muraille de Chine mais de multiplier par 20 la densité d’arbres actuelle, en réalisant une coulée verte. Au démarrage du projet, les scientifiques consultés ont fait le choix de planter des espèces végétales autochtones, capables de résister à une pluviométrie annuelle très faible, pouvant ne pas excéder 300mm. C’est le cas, par exemple, de l’acacia Sénégal ou encore du dattier du désert (balanites aegyptiaca). Il a aussi été décidé de ne planter que des arbres ayant une utilité sociale : l’acacia Sénégal fournit la gomme arabique très utilisée en confiserie et en pharmacie ; le dattier du désert donne des petits fruits et une huile comestibles. Tous les arbres plantés peuvent également servir de matériaux pour construire des maisons ou élaborer des outils, soigner les hommes ou le bétail...

L’Observatoire que vous dirigez constate-t-il cependant des résultats concrets ?

Oui, notamment que les espèces plantées sont bien adaptées et qu’elles survivent. Nous observons que les habitants ont une très bonne connaissance des usages sociaux des bois utilisés. La mise en place de la muraille verte permet aussi de développer d’autres types d’activités, en particulier les jardins polyvalents : les femmes d’éleveurs plantent des légumes et des fruits dans ces potagers. Là où des arbres ont été plantés, nous notons aussi un impact sur l’écosystème, avec un retour d’oiseaux migrateurs d’Europe qui avaient disparu. Nous menons actuellement d’autres études pour comparer les insectes dans les zones protégées et non protégées. Nous travaillons également sur l’impact du changement alimentaire sur la santé des populations. Nous pensons que cette diversité écologique va permettre d’accroître la biodiversité alimentaire, avec toutefois le risque de développer des maladies parasitaires en réhumidifiant ces zones. Nous sommes vigilants et nous avons installé des capteurs de températures et de niveau d’humidité. Des relevés sont effectués toutes les deux heures. Nous disposerons des premiers résultats dans six mois, une masse d’informations scientifiques considérable.

Quels sont les autres enjeux de ce projet ?

L’objectif premier, c’est de bloquer le processus de désertification, de stopper la sécheresse qui s’étend dans la zone sahélienne. Il s’agit aussi de proposer de meilleures conditions de vie aux populations locales et de lutter contre la pauvreté. Et c’est par l’éducation que nous parviendrons à changer les mentalités. Nous menons des actions pédagogiques à l’école autour de l’écologie et les élèves sont très réceptifs, sachant que toutes les zones sahéliennes sont des zones de pastoralisme, avec d’immenses troupeaux. Autre enjeu important : pour que ce projet aboutisse, il faut que des cadres scientifiques assurent le suivi. Notre rôle est de les former. Pour cela, le CNRS et l’Université de Dakar encadrent sur le terrain de nombreux masters et thésards.

À quelles difficultés se heurte encore le projet ?

Les financeurs ne sont pas au rendez-vous. Problème : avec le réchauffement climatique, on ne peut pas se permettre d’attendre ! Il existe aussi des conflits d’intérêt localement, entre le fait de planter des arbres et de nourrir du bétail par exemple… Le Sénégal ouvre la voie, en plantant depuis 2006, environ 5000 hectares par an, soit 2 millions d’arbres et arbustes. Mais il reste encore à convaincre tous les autres pays de lui emboîter le pas.